Comment faire de l'hypersensibilité un super pouvoir pour contribuer au leadership ?

Les hypersensibles sont capables de ressentir des degrés de stimulation qui échappent aux autres, qu'il s'agisse de lumière ou de sons subtils, ou encore de sensations physiques telles que la douleur.

Habile dans la gestion émotionnelle du groupe, capable de capter des influences, un leader hypersensible, qui a appris à dompter ses nouvelles émotions peut faire de cette particularité une grande force.

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De 25 à 30 % de la population serait hypersensible. Le sujet fait l'objet, depuis quelque temps, d'un vrai phénomène d'édition. Psys, coachs, auteurs posent un regard neuf sur cette particularité. De quoi parle-t-on exactement ? Etre hypersensible , c'est un ensemble de caractéristiques et surtout une tendance accrue à capter des informations. Les hypersensibles sont capables de ressentir des degrés de stimulation qui échappent aux autres, qu'il s'agisse de lumière ou de sons subtils, ou encore de sensations physiques telles que la douleur.

« Les hypersensibles ont, en effet, un haut potentiel qui peut se traduire dans une ou plusieurs sphères : intellectuelle, émotionnelle/empathique, sensorielle, ou intuitive. Certains sont plus sensibles au bruit, d'autres aux atmosphères ou aux odeurs », résume Sophie Clergue, la fondatrice en octobre 2020 du Club des Hypersensibles qui rassemble 29.000 personnes, et plus récemment d'un club plus restreint pour les cadres et les dirigeants. « Les hypersensibles peuvent avoir des traits de personnalité en commun. L' empathie en fait partie », poursuit-elle.

Ce sujet, cette conférencière et formatrice, passée chez Total, le connaît bien pour l'avoir vécu de l'intérieur. Hypersensible, elle a découvert ce trait il y a vingt ans après avoir connu des crises d'angoisse, des tétanies musculaires, être passée en un rien de temps de la sérénité à la déprime. « L'hypersensibilité n'est pas une maladie, et ne fait pas l'objet d'un diagnostic médical. On confond souvent avec une hyperémotivité, mais ce n'est pas ça. La plupart sont introvertis et ont appris à camoufler leur sentiment. Ils veulent contenter les autres et s'adaptent », insiste-t-elle.

Du fait de son extrême lucidité, un hypersensible a la capacité de mettre en place des stratégies atypiques et intéressantes. « Cette hyperstimulation va leur permettre de capter les nouvelles influences, de saisir les non-dits, de nombreux détails comme les atmosphères en réunion ou en entretien alors que d'autres pourraient passer à côté. Cela leur apporte une analyse fine dans le cadre de travail, une réflexion novatrice. C'est un atout pour un chef d'entreprise », confie Aurore Monard, coach depuis dix ans et auteur de « Travailler autrement avec l'hypersensibilité ».

Plutôt Introverti, Emmanuel Druon, président de la fabrique d'enveloppes Pocheco, dispose d'une capacité à cerner avec acuité les problèmes et à inventer les solutions pour y remédier. Lorsqu'il reprend, en 1997, la société, il trouve une équipe en miettes et une entreprise dont l'activité est menacée par le début d'Internet. Il lui a donc fallu inventer sans tarder des solutions pour relancer la machine.

Le dirigeant mène alors à la fin des années 1990 un travail de terrain, part à la rencontre de forestiers scandinaves, revoit ses procédés de fabrication, bannit les encres à base de solvants et produits toxiques pour des produits à base d'eau, abandonne les colles pleines de composés organiques volatiles, privilégie les fenêtres des enveloppes en papier et non plus en plastique. Son objectif : faire une société qui ne pollue pas, qui entreprend sans détruire. « C'était il y a vingt-cinq ans des choses qui n'intéressaient pas grand monde. On a découvert en avançant qu'il est plus économique de travailler de façon écologique, ce qui nous a permis de résister à de nombreux chocs économiques », constate le président.

Son mode de fonctionnement repose aussi sur une grande compréhension des sentiments et des émotions. Ce chef d'entreprise de cinquante-sept ans, se met trop facilement à la place des autres, sa sensibilité produisant une forme d'empathie, qui peut influencer son jugement. « Je garde en mémoire un souvenir d'enfance lorsqu'une petite fille a perdu dans un parc un ballon gonflé à l'hélium. Mes parents étaient étonnés par le fait que je sois bouleversé par des choses que d'autres ne remarquaient pas », explique ce chef d'entreprise, qui a fait un long travail personnel et une analyse thérapeutique pour essayer de mieux comprendre son rapport au monde. Une grande empathie qui ne l'a pourtant pas empêché de prendre des décisions importantes, parfois radicales.

Confronté à des difficultés économiques, Emmanuel Druon a dû composer avec un plan social majeur, à l'issue duquel chacun - plus de 60 salariés - a été accompagné pendant douze mois et a retrouvé un travail. « Mon hypersensibilité m'a permis de percevoir leurs réactions, j'ai exprimé mon empathie face au choc qu'ils ressentaient. Après la crise, 29 d'entre eux ont réintégré l'équipe en CDI », confie le chef d'entreprise, qui a demandé il y a cinq ans une modération salariale et décidé de se verser un SMIC pour préserver la trésorerie de l'entreprise, qui compte 86 salariés.

« Cette décision n'a paru facile à prendre qu'à moi-même », ajoute-t-il. Il voit son hypersensibilité comme un atout. « Tous ces travaux sont le fruit d'intuition liée à ma sensibilité au monde vivant, sur la manière de repenser le rapport au travail, de fédérer les talents de gens différents », reconnaît-il.

Tous les individus ne parviennent toutefois pas à mettre un nom sur une série de symptômes qui ne s'expliquent pas et à exploiter leur plein potentiel. Lorsque cette particularité n'est pas identifiée et bien assumée, les hypersensibles peuvent développer tout un tas de problématiques plus ou moins graves. Ces personnalités, hyperperfectionnistes , ont tendance à en faire trop et à lancer plusieurs projets en même temps.

« Un dirigeant doit se réguler, aller au bout de chaque projet et dire non à 90 % des bonnes idées qu'il a pour ne pas que ses équipes craquent », conseille Sophie Clergue. Ces personnes peuvent également s'ennuyer, s'angoisser si elles ne parviennent pas à canaliser les informations ou tomber en dépression si elles ne sortent pas de l'anxiété. « Le burn-out est parfois un indicateur de l'empathie mal gérée… On se plie en quatre pour répondre aux besoins des autres et l'on s'oublie », ajoute Sophie Clergue.

En France, chaque trimestre, 520.000 personnes osent démissionner de leur entreprise malgré le contexte actuel de crise économique. Parmi les talents qui n'hésitent plus à envisager leur carrière autrement, les hypersensibles sont particulièrement présents. « Ce qui les pousse à partir, c'est la perte de sens . Ils ont l'impression de ne pas être compris et de ne pas contribuer de la bonne manière pour leurs proches, le monde. L'environnement est aussi perçu comme trop bruyant, pas assez inspirant, ce qui peut jouer sur leur performance et leur mal-être à moyen terme », explique Sophie Clergue, qui a mené en 2022 une enquête à ce sujet.

Pour qu'elle ne soit pas considérée comme une faiblesse, Il semble donc important de parvenir à canaliser ces émotions. « De saines limites doivent être posées. Un hypersensible va pouvoir travailler des heures sans jamais s'arrêter quand il est porté par le sens de ce qu'il fait, ce qui peut engendrer une fatigue extrême », conseille Aurore Monard. D'où l'enjeu de la faire connaître. « Une fois que l'on a découvert et compris ce trait, les personnes arrivent à profondément s'écouter », assure la coach.

MALLORY LALANNE Le 11/05/23 sur Les Échos - Entrepreneurs